En 2013 j'ai fait de (très) nombreuses études piano-voix (oui, le vieux piano branlo), de passages du Roman inachevé d'Aragon.
J'ai même dû en faire a cappella. (Il y en a tant, et c'est si lointain maintenant que je ne me souviens plus exactement...)
Comme Le Roman inachevé est en fait un très long poème (qui n'est un "roman" que selon l'usage du temps de Chrétien de Troyes (XIIe siècle) - où l'on voulait dire par-là "récit versifié", le roman en prose étant encore à naître à l'époque).
Aragon fut très marqué par ce siècle qui vit advenir la littérature française (en ancien français donc - et forcément en vers).
Le Roman inachevé (d'Aragon) est passionnant à plus d'un titre.
C'est un des sommets de la poésie française.
Comme il ne s'agit pas d'un poème de taille habituelle, mais d'un vaste ouvrage, j'ai donné un titre différent à mes ébauches, selon que j'avais choisi tel ou tel passage.
Ainsi on aura : Le Vaste monde, Feux et paysages, La Truite, Feuillards et Ramures, On a beau changer d'horizon, Le Mot Amour, etc., selon les cas.
Bien sûr tout cela est resté à l'état d'études. Et je ne parle pas que de ce que je livre ici aux esprits curieux : j'en ai plein d'autres en réserve, essais en attente de transformation - comme on dit au rugby je crois ?
Matière brute de 2013 donc. Ici, une tentative d'esquisse a cappella RESTANT dans les limites du fragment que j'ai intitulé pour la circonstance : "Le Vaste Monde"
N.B. Je rappelle que ce que je mets là est une étude audio de 2013. Voix garantie d’époque !
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LE VASTE MONDE
Où faut-il qu'on aille
Pour changer de paille
Si l'on est le feu
À moins qu'il ne faille
Si l'on est la paille
Fuir avec le feu
La paille est si tendre
Mais vouloir l'étendre Étendra le feu
Qu'on tente d'étreindre
Or il faut l'éteindre
Le long pour l'un pour l'autre est court
II y a deux sortes de gens
L'une est pour l'eau comme un barrage et l'autre fuit comme l'argent
Le mot-à-mot du mot amour à quoi bon courir à sa suite
Il est resté dans la
Dordogne avec le bruit prompt de la truite
Au détour des arbres profonds devant une maison perchée
Nous avions rêvé tout un jour d'une vie au bord d'un rocher
La barque à l'amarre
Dort au mort des mares
Dans l'ombre qui mue
Feuillards et ramures
La fraîcheur murmure
Et rien ne remue
Sauf qu'une main lasse
Un instant déplace
Un instant pas plus
La rame qui glisse
Sur les cailloux lisses
Comme un roman lu
Si jamais plus tard tu reviens par ce pays jonché de pierres
Si jamais tu revois un soir les îles que fait la rivière
Si tu retrouves dans l'été les bras noirs qu'ont ici les nuits
Et si tu n'es pas seule alors dis-lui de s'écarter dis-lui
De s'é-car-ter le temps de renouer ce vieux songe illusoire
Puis fais porter le mot amour et le reste au brisoir
On a beau changer d'horizon
Le cœur garde ses désaccords
Des gens des gens des gens encore
De toute cette déraison
Il n'est resté que les décors
Elle amenait à la maison
Des paltoquets et des pécores
Je feignais lire
YInprekor
Comme un jour fuit une saison
Il n'est resté que les décors
On a beau changer de poison
Tous les breuvages s'édulcorent
Toutes les larmes s'évaporent
Des fièvres et des guérisons
Il n'est resté que les décors
On a beau changer de prison
On traîne son âme et son corps
Les mois passent marquant le score
De tant d'atroces trahisons
II n'est resté que les décors
Le cœur ce pain que nous brisons
Que les sansonnets le picorent
J'aurais dû partir j'avais tort
Aux lueurs des derniers tisons
Il n'est resté que les décors
(Aragon)
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Tentative d'esquisse vocale sur le "Roman inachevé" débordant les limites du "Vaste Monde"...