AVENIR (poème d'Apollinaire) : Philippe Baudet, 2012-2019

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AVENIR

(poème d'Apollinaire, mis en voix en 2012, puis en 2019)


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Avenir

Quand trembleront d’effroi les puissants les ricombres

Quand en signe de peur ils dresseront leurs mains

Calmes devant le feu les maisons qui s’effondrent

Les cadavres tout nus couchés par les chemins

Nous irons contempler le sourire des morts

Nous marcherons très lentement les yeux ravis

Foulant aux pieds sous les gibets les mandragores

Sans songer aux blessés sans regretter les vies

Il y aura du sang et sous les rouges mares

Penchés nous mirerons nos faces calmement

Et nous regarderons aux tragiques miroirs

La chute des maisons et la mort des amants

Or nous aurons bien soin de garder nos mains pures

Et nous admirerons la nuit comme Néron

L’incendie des cités l’écroulement des murs

Et comme lui indolemment nous chanterons

Nous chanterons le feu la noblesse des forges

La force des grands gars les gestes des larrons

Et la mort des héros et la gloire des torches

Qui font une auréole autour de chaque front

La beauté des printemps et les amours fécondes

La douleur des yeux bleus que le sang assouvit

Et l’aube qui va poindre et la fraicheur des ondes

Le bonheur des enfants et l’éternelle vie

Mais nous ne dirons plus ni le mythe des veuves

Ni l’honneur d’obéir ni le son du canon

Ni le passé car les clartés de l’aube neuve

Ne feront plus vibrer la statue de Memnon

Après sous le soleil pourriront les cadavres

Et les hommes mourront nombreux en liberté

Le soleil et les morts aux terres qu’on emblave

Donnent la beauté blonde et la fécondité

Puis quand la peste aura purifié la terre

Vivront en doux amour les bienheureux humains

Paisibles et très purs car les lacs et les mers

Suffiront bien à effacer le sang des mains

 


Guillaume Apollinaire (1903)