BONIMENT

Posté

BONIMENT

 

« On nous a refait le même coup de la pudibonderie bondieusarde qu’à Michel-Ange, monsieur Durand ! Vous savez, vous qui êtes un artiste, les problèmes qu’a rencontrés sa « chapelle Sixtine » ! Hein ? Bon, eh bien là c’est pareil ! Et ce voile sur la touf… Euh… sur le bas-ventre de Suzanne, c’est tout comme les “culottes” sur les sexes des quelque 400 personnages représentés… nus par Michel-Ange dans la fresque du « Jugement dernier » – dont le Christ lui-même ! “Culottes” peintes par Daniele da Volterra (grand artiste au demeurant, disciple et ami de Michelangelo Buonarroti). Culottes pour culottes, il vaut mieux que ce fût lui qui s’en chargeât d’ailleurs : Daniele da Volterra recouvrit donc les parties génitales des personnages du « Jugement dernier » par des repeints de pudeur, ce qui lui fit gagner le surnom de Il Braghettone (littéralement : le « faiseur de culottes » ou le « caleçonneur »). Cela dut lui faire mal, à Daniele, de devoir repeindre sur le Grand-Œuvre du maître des maîtres - évidemment après coup, et après la mort de Michel-Ange ; ce, à la demande expresse du pape qui succéda à l’éclairé pape Paul III, ce bougre de Paul IV ! Un sacré saligaud d’obscurantiste, celui-là ! Vous êtes bien de mon avis, n’est-ce pas monsieur Durand ! Hum ?... Eh bien puisque nous sommes en phase sur ce point, sachez encore – car sûrement vous l’ignorez – qu’il projeta même, le bougre, de faire carrément détruire le sublime ouvrage… qui honore pourtant le Christ en majesté ! (Heureusement pour nous, hum ? cela ne se fit pas ; mais en lieu et place de la destruction totale, la censure : les fameuses culottes de Daniele da Volterra !) Imaginez un instant, monsieur Durand, la disparition à jamais de ce chef-d’œuvre de la Renaissance, de cette performance d’un génie, qui, pratiquement seul et à mains nues quasi (si l’on peut entendre le sens de cette image, ici, n’est-ce pas monsieur Durand ?), fit émerger sur ce mur éteint la lumière. Cette lumière émergeant des ténèbres obscurantistes. Déchirant le voile. Le paradis des Arts versus l’enfer des scribouilleurs de Bible. Des dévots. Dévots tout-puissants quand ils ont entre leurs mains le sceptre et la mitre. D’un doigt vengeur, et selon leurs caprices, ils désignent l’impie, le blasphémateur, le sacrilège ; et le voue aux gémonies, le voue au fer des tortionnaires inquisiteurs ou le brûle sur des bûchers. « Brûlez-moi donc ce mécréant de Giordano Bruno ! Éteignez-moi donc cette flamme ! Et… pendant que vous y êtes, recouvrez-moi donc cette fresque à bistouquettes que je ne saurais voir ! » Bref, monsieur Durand, excusez cette emphase. Comprenez, je me consume de haine face à tant de bêtise. De la bêtise crasse. De la connerie en barre. Pensez : fleurdeliser le « Jugement dernier » du divin Michel-Ange ! Cet athlète de l’esprit – et du corps aussi ; n’est-ce pas monsieur Durand ? Et ce « Jugement dernier » ? Hum ? Un exploit sans pareil. (Hormis la Cène du divin Léonard.) À coups de pinceaux vifs, et de rutilances, il défie les siècles, ce colosse aux pieds d’argile – eh, si par la vindicte d’un seul homme, à haut chapeau ecclésiastique, un tartuffard malveillant, ce chef-d’œuvre peut disparaître d’un coup, hop ! c’est bien parce que ce géant d’acier a des pieds fragiles, non ? Une assise… précaire, non ? Et pourtant il est ombre et lumière, ce géant pictural : il projette ses ombres et ses flots de lumière, sur quiconque le contemple. (À part Paul IV évidemment.) Ce monument qui surtout, est l’un des fleurons de l’Occident. Fleuron qui pourtant, bien plus tard, au XVIIIe cette fois, fera derechef les frais de la mauvaise humeur d’un autre saligaud de pape : Clément XII pour ne pas le nommer. Clément XII fera également censurer par le pinceau d’autres personnages du chef-d’œuvre de Michel-Ange !

Et… encore mieux, tenez-vous bien monsieur Durand, c’est justement du vivant de ce Clément XII que fut sculptée… MA « Suzanne et les vieillards » ! Sculptée et aussitôt censurée ! Limée là où il faut, poncée à l’entrecuisse. Polie où c’que le bât blesse. Foin du naturalisme, place à la pudibonderie ! Place à la vulgaire idéalisation… des anges sans sexe.

Alors, monsieur Durand, je vous laisse juge des conclusions que l’on peut tirer de cette flétrissure inique dont fut également victime cette superbe sculpture ; dont vous allez, vous, pour moi exclusivement, effectuer la copie… “restaurée” en quelque sorte.

Et merde aux curetons !!! »  

 

…Et voilà pour le boniment !

 

 

 

 Philippe Baudet, 2012 (minuscule fragment de la Saga Des Autels)