C’EST UN ŒUF (+ UN OEUF-CUBE 5 : Philippe Baudet, 2018 à 2022)

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C’EST UN ŒUF

 

I

 

C’est un œuf. Un œuf ouvert : un cercle – vu de dessus – ; blanc gluant et translucide ; jaune luisant tracé au compas.

 

C’est un œuf. Cuit, blanc, oblong, ovale, tranché : un demi-œuf en fait. Comprenez alors que son blanc est dur ; dur aussi son jaune, virant au safran, arc de cercle déchiré, un peu poudreux… Vous devinez ? Cherchez sous la feuille de salade…

 

C’est un œuf. À la coque. À petits coups de petite cuiller comme un (en guise de) petit marteau, le haut de son crâne est brisé, soulevé, ôté.

Pourtant cet œuf, quand il est vu de dessus – toujours -, eh bien cet œuf-là, par sa coquille, même cassée, emplit le périmètre d’un cercle – presque – parfait ; rond que dédouble la soucoupe.

Dedans, c’est un entre-deux qui clapote : blanc et jaune sont restés liquides, ou quasi. Mais dès que la pointe du couteau remue, le jaune l’emporte. Alors dedans, c’est comme un lac de volcan ; et qui déborde - houlà ! - : douce lave qui se répand fissa ; et puis durcit lentement.

À l’intérieur dudit volcan, ce lac t’accueille. Il est très tendre. Et toi tu perces sa peau fragile ; sa fleur de soufre. Mouillette et… Miam !

 

C’est un œuf. Un « œuf au plat » : cuit sur le plat. Son blanc, de gluant et translucide devient vraiment de couleur blanche pour le coup. Et non seulement, mais encore, apparaît totalement opaque cette fois. Étoffe blanche oui, avec dentelle chantournée qui s’étale. Onctueuse. Écume croustillante sur ses bords.

Et son jaune ? Son jaune, est un cercle théoriquement absolu, quant à lui !, au centre du plat. Un cercle - du moins si l’on a été suffisamment habile en “cassant l’œuf” -, le temps de l’admirer, juste le temps de le humer du bout des yeux quoi. Un cercle qui frémit pendant la cuisson, brillant ; puis qui de brillant, devient soyeux, “saisi” par le feu. Simplement “saisi” ; peau épaissie légèrement ; petite cloche où sont des bulles – deux ou trois cloques – prêtes à claquer sous le pain… Quand viendra le temps du pain.

…Oui, car je suppose qu’il viendra, « le temps du pain » : on ne cuit pas un œuf au plat seulement pour faire plaisir aux yeux, n’est-ce pas. Du moins dans la plupart des cas, il me semble. Non… ?

…Bref, lorsqu’un morceau de bon pain frais vient brouiller le jaune, vient l’assaillir sans cruauté, avec volupté, c’est en dessinant dans le plat – car c’est à même le plat que se déguste un « œuf au plat » - des arabesques.

…Et du plat, à la bouche ! L’œuf et les yeux se brouillent. Voire – pour les yeux du moins -, ils se ferment. Parfois… Afin de laisser place aux autres sens. Afin, déjà, de laisser place à… Une bonne petite tranche de bonheur. Simple. Gustatif. À même les papilles ; où vient maintenant, mouiller, l’eau à la bouche !

 


II

 

C’est un œuf. Dans la paille, une sculpture. Brancusienne ? Ou façon Miró ?

 

C’est un œuf. C‘est un orbe dans la matrice gallinacée. Dans le cul des poules. Et c’est un monde ; un cosmos prêt à éclore à l’intérieur d’un soleil.

 

Qui l’a conçu ? L’a-t-on conçue cette « machine à concevoir » ?...

 

…Et qui de la poule et qui de l’œuf ???

 

 

 

 

 

 (Philippe Baudet, septembre 2000)