EN NOTRE PALAIS INTIME (+ OPUS O-bis allégé : Philippe Baudet, 2014 + 2015)

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EN NOTRE PALAIS INTIME

 

 

 

Alors la mer soulève toutes ses jupes et ses jupons de dentelle, ses falbalas…

 

Sous ses dentelles, sous ses jupons, sous chaque jupe sont des yeux.

 

Des milliards.

 

Et la mer voit, être advenu… dans l’encre du stylo. Elle regarde. À trois cent soixante degrés. Et bien plus. Sous chaque crête un œil de guêpe, un œil qui guette. La mer qui fonce fronce ses yeux. Ses yeu-eu-eu-eu-eu-eu-eu-eu-eux.

 

Toutes ses roues sont des cerceaux.

Toutes. Sous elle, ses roues l’entraînent vers son spectacle. Rideaux ouverts. Rideau levé. Des poulies grincent. Des cordes se tendent. Deus ex machina.

Tout au fond, une étendue. Du sable, du roc. Ici est sa couche. Son repos. Les recoins où faire tremper ses ailerons et ses petits petons.

Au-dessus, une autre étendue. Là, c’est une tout autre affaire. C’est un miroir. Son frère. Son époux sec. Sa sœur trempée. Elle s’y mire et s’y colore : du moins son dos ou son ventre. Ventre et dos pour elle ne sont qu’un : mouvant. Bolide qui trace jusqu’au rivage ombré par des nuages bas : seuls témoins de la masse qui caresse ou bien violente selon, armée des mains et des griffes de l’invisible vent.

 

Vent, nuages, pluie, clarté… tout cela pour la mer, c’est son frère, son époux, sa sœur. Son miroir.

 

Quel est ce trait qui la couvre, qui la couve, qui l’écume, armé de sa montre lunaire et solaire ? Qui la bat et la baise et l’étire. Quand elle a envie. Quand il est l’heure de s’en aller… marer. C’est-à-dire, toujours, tout le temps.

 

« Je mets un doigt dans ton ventre ciel époux miroir mon frère ô coiffeur. Je mets deux doigts dans ton ventre : deux gouttes, deux œufs de mes yeux qui pleurent. Corps à corps. Pli contre pli. Ventre à ventre, époux ma sœur je te baise, tu me baises, nos bouches se touchent, nos langues s’entortillent. Se remplissent ou se vident. Tu me coiffes mon coiffeur. Tu me fais coiffure. Frisotis, bigoudis, longues bouclettes que tu dévisses. C’est alors que mon grand œil plonge dans ton ventre comme un poing. Te fouaillant, fouet-serpent. Mon poing à la verticale crève tes seins de vapeur et les absorbe. Je suis si vaste, si vaste… Mes cornets, tes typhons mon amour, ma femme, mon mari. Nos oreilles ennemies se décollent du cadran. Je t’habite, tu m’abrites avec ton souffle ronflant dans mon oreille qui n’est plus la tienne. Et l’on se fait gronder par papa Soleil qui nous tape sur les doigts. Mais tant pis !

Mon cœur empli de rosée plane dans les nuées quand je suis dingue de toi, ciel époux ma sœur, quand mon corps se secoue. Quand des grains de violet criblent ton costume bleu. Les ruches essaiment à tout va sur nos peaux. À bzzz à bzzz. Dans la profonde couverture. Jusqu’au fond de la litière, où se meurt la lumière. Et sur ma chair de poule : le frisson de toi mon ami, ma fleur, mon épée.

J’ai un peu froid. Et toi ? En notre palais intime. »

 

 

 

 Philippe Baudet (Variation sur un thème)