LA MER (Poème)

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LA MER

(Poème)

 


Immobile, la grève

envie la marée qui s'en va et revient ; qui l'envahit, puis se retire...

Ah ! le salé de la Mer en sa Chose !

La grève, ourlet de la marée. Moite.

 

 

L'eau

Porte,

Forte

Peau,

 

Ivre,

L'or,

Corps

Libre.

 

Un tas

De terre

Vénère

L'état

 

De celle

Qui court,

Toujours

Nouvelle.

 

C'est la marge

De la Mer,

C'est l'envers

Du Grand Large,

 

C'est la plage

De poussière,

La lumière

Jaune en nage.

 

Ici n'est plus

Plus rien de vague,

Ici le flux

Gronde, extravague...


Il prend le Roc,

Dieu minéral,

Qui se fait soc

Et tinctorial !


Le Roc teint la Mer,

Laboure sa hanche

D'écume ! Et l’amer

Sur la côte flanche...

 

Ailleurs, l'eau des lacs

Est d'une autre race :

Masse qui fait clac !

Sur sa lisse face...

 

Mais dans l'enfer des flots

Les rouleaux sont des ogres

Qui broient des matelots,

Plus voraces que congres !

 

Et ces montagnes d’eau

Se couchent sur la grève

Vomissant des bris d'os,

Puis des vaisseaux qui crèvent...

 

...Dans le sable, déchirés

Par les crocs de la tempête

Qui, avec force trompettes,

Fracasse ces chavirés !

 

Qui, sourde aux Miserere,

Fauche les têtes marines,

Puis, les dents dans les poitrines,

Entonne... son Dies irae !

 

Plus loin, vers l'aire pélagique,

Sont, au fond, de tout petits ronds,

De petits yeux dans le tréfonds,

Des mosaïques... cinétiques ! :


Des yeux qui regardent la Mer

Se gonfler de la chair qui nage,

Des yeux qui s'ouvrent... COQUILLAGES !

Au sein de l'aquatique éther...

 

Plus loin encor, l’ivresse-rapace

Surprend la pierre de sel des eaux

Et va, pour la dissoudre au pernod,

Lui donner l'apéritive chasse !

 

Faire avec tout son acide corps

Le plus grandiose filet de pêche,

Tout d'une pièce - langue qui lèche -,

Un filet sans le moindre raccord...

 

« Aquadynamique » est la molécule,

Fraction de l'ample et glauque complexion

Marine. Elle est l’Unique. Elle est la bulle...

De champagne !... Entre toutes : l’Exception !

 

Vole son Destin... jusqu'au Grand Bassin,

L'ABYSSE : tout un réservoir d'ivoire

Gravé d'idées reçues, et de dessins

Fleuris de mille feux dans la Nuit-Noire ;

 

Gavé de trous sonores, silences fous,

De dérobades de matière organique

Qui crie !, qu'une assemblée ecclésiale absout

(Tous, prêtres-crabes entourés de reliques,

 

De prie-Dieu minéraux, et de croix de fer

Ajustées bout à bout par de la dentelle,

Ces fibres des fonds - livrées de ces Enfers !).

Ici, vit Neptune... Des chevaux femelles

 

Lui parlent tendrement sur son lit de velours

Couleur corail. Mais le dieu gronde. Crie vengeance.

Ce géant se déploie, lève ses membres lourds.

Neptune se souvient... : « Mort à l'humaine engeance ! »


Une vénus moulée dans le cuir des poissons

Attaque un chant de guerre. Et, tout là-haut se plisse,

De la Mer, l’épiderme enflammé de frissons... :

Les Christophe-Colomb SUR LEURS BATEAUX PÂLISSENT.

 

...Eux qui, et à jamais, s'en vont troubler le repos des « indiens » ;

qui toujours les FERONT CHIER ! Qui, pour ce faire, toujours

traverseront le long Corps d'Ôkeanos.

Ils sont fous ces Christophe-Colomb ! : ils embrasent la Chevelure

bouclée de crêtes... ; lui font la plaie dans son Fluide : blessure qui

s'ouvre... ; se referme... ; s'ouvre... ; se referme... toujours !

« Mon Dieu ! », font les Colomb - hardis marins - quand craque leur

coque... « à la noix » (aujourd'hui sans voiles ; sans rames ; et même

sans vapeur ! ; mais tout engluée ; toute gargouillante, quand l'hélice

- hélice qui point ne vole ! - s'entortille dans le muscle même de la

Mer... en lâchant des pets de moteur !). « Mon Dieu, mon Dieu ! »,

font-ils, avant... de « boire le bouillon ».

Bravo ! et...

« adieu » aux gens-de-l'eau : ils plongent sans comprendre...

 

Quel est ce Grand Bouillon où les fleuves dégorgent. Et se noient...

Quel est ce Grand Calcul qui tout multiplie et que tout multiplie :

les sources des montagnes comme les traits de la pluie...

Quelle est cette mère, cette femme qui tout absorbe : le lait des petits

et l'or noir des grands...

Quelle est cette amante qui frôle les bas-fonds... en ondoyant.

Quel est ce ventre froid, ce ventre tiède, ce ventre chaud, et qui, quelque

part mâle, quelque part femelle, toujours finit par coucher avec la côte.

Qui lui lèche sa broussaille de rocs durs ; sa peau lisse de grève, au grain

douillet ; sa peau d'orange, roulant galets... Ou qui, Grand Couturier,

lui « dentelle » la frange. Et puis qui - sado-maso -, avec son fouet

levant, et poussé par le vent, parfois, parfois... lui flagelle la panse !

La fait tourner - potier !

Quel est ce Grand Bouillon qui va comme cohorte, qui va comme

cohue, tout en tressaillements - suaire déchaîné !

Qui est cet incendie tout bleu sous le ciel bleu. Et qui tout engloutit.

Quelle est cette éponge.

Quelle est cette croûte grise sous le ciel gris, la besace emplie de petits

gris tout cliquetants et d'étranges mouvements... Et de vies...

 

CE GRAND BOUILLON, C'EST LE SANG DE LA TERRE.


Une aube. Dans les premières flammes : des clapotis.

Un bruissement : le vent soulève des petits,

Des asticots d'écume. (Bientôt, de grands serpents

Rouleront en roulis leurs cerceaux de diamants.)

 

Matin. Les vagues, là, rougeoient. La masse noire,

Petit à petit, verdoie quand ondule la moire.

Se hisse, l'Est si pur. D'un cran. Et puis de deux.

La lumière est frontale. Char d'Apollon : deus

 

Ex machina. Tel un pantin, ou mieux : la main

De l'Artiste qu'est Dieu ? Sur la Mer c'est DEMAIN.

Des lames bondissent sur le bleu de l'Horloge,

Ce Grand Corps, ce tic-tac que le temps interroge.

 

Où l'horizon frissonne on oublie le tableau :

Le lever du soleil rasant le plat de l'eau...

À coups de brosse vifs le Démiurge se fait,

Quand le vent est en rut un océan défait :

 

De grands murmures sombres, des grondements de lave,

Tels les tambours du Bronx, mais sous un ciel-esclave.

« Messieurs les marécages ici n'est pas l'étang,

Ce sont les flots du diable épais comme du sang.

 

C’est la langue de feu de l'orage qui crisse

Sur cette « cette peau qui fronce », quand la Mer se dévisse…

C’est la glaciale mare de faïence étendue

Qui se brise, ou qui pleure... tout comme une éperdue.

 

Ce sont putains frappées par des amants de rage :

Les fantômes-marins voguant au sein de cages

D'acier ! et qui mettent la nuit à midi ; noirs,

Tout noirs. » Et la baleine prie pour son SALUT...

...Pour que l'eau

Soit limpide

Comme l'eau

De fontaine.

 

(Prière de la baleine à la mer)

« Mer !

Pointe

L'hôte-

Fer.

Cabre

Son

Long

Sabre.

Eau !

Porte,

Forte

Peau,

L'ombre

Du

Cul

Sombre

(“Trois-mâts”

Sans toile,

En tôle,

Qui bat ;

Qui trempe

Ses pieds

Liés,

Sa poupe)

Au roc !...

Le perce,

Ta herse :

Ton croc !

Qu'il plie,

Qu'il coule,

Qu'il foule

Ta lie

Ce rampant

“Innommable”... 

Sur le sable...,

Ou, gluant,

Dans ton large,

En enfer !

Ô ma Mer...

 

…Oui, me venge !

 

Pour qu’enfin,

Sous ton aile,

Tes aisselles

« Soif-et-faim » :

Ta longue traîne !

Et dans ton lit,

Soient mes petits,

Eau-De-Fontaine.

…Qu’à nouveau - sans lui ! - ta marée soit pure ;

Soit ce Mouvement lent qui s'en va... et puis revient,

Tout en roulant de légers scintillements d'argent, ou de bronze,

Dans ta Robe, immense face au ciel changeant...

Avec ses bourrasques : les Grands vents !

Tout cet air émouvant sur ma peau

Qui me lèche TON tissu d'eau...

Quand tu relèves tes draps en un geste d'amour

(Grisée d'être si belle, les seins tendus au jour...),

Tes reins cambrés sous moi jaillissant comme un bras !

Masse-Chair désossée et qui danse et qui danse ;

Inexorablement... »

 

D’un revers de ventre la Mer, balance alors toute sa masse.

 

Quand s'ouvre le corps noueux de la Mer-mère,

ses bras percent le jour et la nuit tout pareillement. Ses mains tressent un nid,

parfois assassin...

Dans son ventre grouillent ses enfants : les morts et les vivants... ; et ceux qui

ne verront jamais le jour (larves-repas).

Ici, germe LA MATRICE. Ou bien avorte... Quand là-haut goutte la rosée –

même en plein mois d'août ! Quand là-haut guette la pensée... Et parfois,

tremble...

La Mer, bien sûr, est mère de Baleine aussi : elle entend son cri.

Et cette mère-là, pour elle, dé-gueule soudain son herbe grasse : son gris inonde

la blouse du Démiurge. Du gris en bloc. Des blocs de gris... sous des cieux

empreints de doute, où des flots de gris, pourtant, partout flottent, lacs dans

l'azur... qui se répandent, qui s'écartèlent...

Mais sous la Voûte sont d'autres gris. Ô la Mer grise qui se déleste ! Ô trombes, raz de marée : écarlate colère ! (Le reste n'est que pose...)

Et puis, la Mer se calme... Son gris se repose enfin... Il se met au vert... Un peu

de jaune vient lécher l'herbe - zeste de citron-fraîcheur : il vire au bleu !


Du bleu en bloc. Des blocs de bleu. Façade pavée, quand la peau de la Mer

s'étire en bonace : façade pavoisée de tout petits drapeaux or et blanc ; ou

ivoire... ; telles des écailles qui s'éparpillent ; ou bien moutonnent...

Quand la Mer rêve...

 

Quand, être advenu, dans l'encre de la plume, sur le papier où parfois s'ancre un peu de vie... Quand c'est son tour. Les yeux ouverts. Des yeux à elle.

QUAND ELLE S'ÉLANCE VERS LE SPECTACLE !

« Au loin, là-bas, mes yeux d’horizon voient… l’horizon nouveau : un trait. »

…L'horizon bouge ; comme au désert. Il frémit...

Un air fluide ; une vibration ; quelque chose d'un mirage : tout là-bas est une île ; une presqu'île ; une péninsule ; un continent...

Terriblement éployée, une terre à lignes parallèles dans l'horizon nouveau...

…………………    Ligne,

Entre deux plans,

Pans,

D'une picturàl’eaugraphie  : une fantasmagorie, oui !

Saisie,

Brandie,

Lo-co-mo-ti-vée...

Menée à fond de train !

Sans gare,

Ses rails sur le miroir

- Fer croisé, regard croisé -

Où signe la lumière

Son paraphe solennel,

Cliquetis somptueux,

Des breloques : quincaillerie toc,

Plaques de verre suspendues

Qui clapotent

- Rampe sous le ciel -

Comme des lacets tendus jusqu’au fin fond des nues...

Là où les espaces s'embrasent

Quand le jour meurt...

Où des formes grelottent...

Nus-baigneurs !

 

Plus nus que la nudité même 

Ornée de rose...

De curieux petits animaux de Dieu :

Des angelots dit-on ?...

 

Quand s'échappe… la poussière des hommes



Philippe Baudet