LES ARMES
Les armes s’écartaient. Se rapprochaient. Se mêlaient en faisceaux.
Dans le cliquetis des fusils chargés on avait entendu gémir la forêt – le bois encastré dans le métal.
Malgré l’âcre odeur de soufre, de poudre à canon, des hommes avalaient, goulus, la fumée de leur cigarette.
Les armes étaient posées au sol.
À terre semblait dormir la beauté…
En ouvrant la fenêtre d’un cabanon, on entendit la voix, par le vent portée, de chiens au loin… Des jappements qui lentement se rapprochaient. Devenaient, peu à peu, moins douce musique. Tendaient, redoublés par l’écho ricochant de mont en mont, à devenir fracas.
Bientôt, des beuglements gutturaux se firent entendre aussi. Et tambours ; clairons amplifiés par le vent ; cors semblant carnyx – ou l’inverse ; cris rauques…
On se frottait les yeux. On se raclait la gorge.
La peur avait un certain goût, une certaine odeur ; un parfum de sang, ça va de soi. Mais également de cendre. Sur la langue et jusqu'au fond de la gorge, un étrange goût tenant du plastique vous étouffait. Ou encore, une impression de sable vous saisissait. Sable froid. Un sable empâtant la langue en quelque sorte. Et dans le nez, du poivre. Suivi d’une odeur de merde. Ou tout comme...
Mais ces parfums vous endiablaient. Vous rendaient diable… Loup. Ours. Tigre. Vipère.
Ces parfums qui coulaient dans vos veines, s’engouffraient dans vos poumons. Vous piquaient les yeux. Les yeux, le nez. Les yeux surtout.
Et vous jetiez alors un coup d'œil à la beauté couchée sur le flanc. Est-ce qu’elle va frémir ? Va-t-elle se retourner ? Gémir ? Non ! car cette beauté, tout comme le sable dans la bouche, est froide et se désagrège ; cette beauté est morte désormais.
Bah ! qu’importe ! Par la fenêtre vous voyez derrière la colline, s’avancer, serpentine, une colonne. Qui avance, qui avance. Se rapproche de vous. Voici venu l'instant. Ça y est. Elle est presque là maintenant. Elle est là !
Et vous prenez votre arme. Et vous appelez les autres. Ils accourent. Saisissent à leur tour leur arme. Prêts pour le combat… Quand la forêt se lèvera, comme un seul homme.
Vous verrez des chiens tomber. Vous verrez des hommes tomber. Verrez-vous des arbres tomber ? Non. Car il sera trop tard pour vous…
Philippe Baudet, 1999 (Miniature)