Philippe Baudet (La Radio : tout petit extrait du Cube - 2008)

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Tableau six : « TOUTE PETITE MAISON, DANS LA GRANDE MAISON »

 

L’Auguste :

·      Sur le buffet une radio est posée. L’enfant s’en approche, fasciné…

 

(La maison d’os. Le crâne. Telle la radio, la très grosse radio de sa petite enfance, à l’homme. Une radio des temps anciens : bourrée de boutons, très gros, et de zigzags ; et d’ornements.)

 

…L’enfant se penche et caresse les murs de la marmoréenne maison miniature. Elle est ébréchée (son père sans doute, lors d’une de ses fracassantes colères…) : une belle brèche, telle une porte ouverte en permanence. (Un coup de canon ?) Une “baie” donnant sur deux étages.

…Par effraction, mais sur la pointe des pieds pour ne pas déranger, le petit garçon y colle un œil, curieux ; pas méchant pour deux sous.

Il veut voir comment ils vivent, eux, ceux du dedans. Il veut savoir. C’est l’occasion idéale ce trou. (Merci papa. Au fond tout a du bon.)

 

Mais comment font-ils pour parler si fort, eux si petits ? Tellement petits qu’il ne les trouve pas. Pourtant il les cherche dans quelque recoin illuminé. Car c’est très, très lumineux ici. C’est bien. Un peu délabré, mais moins que chez lui.

C’est plein de grosses ampoules électriques très, très puissantes. Des ampoules un peu rustiques, comme chez l’enfant. Sauf que chez lui elles « pendigouillent » ; elles pendouillent au bout d’un fil qui tournicote.

Bref, où sont-ils ? Ils se cachent ?

Ils se cachent tout en parlant, ça c’est fort !

Ou alors ils ne se cachent pas, mais ils sont tellement petits qu’il ne peut les voir : c’est encore plus fort ! D’autant que fort ! ils parlent.

Et si on tourne à droite le gros bouton de droite, eh bien carrément ils gueulent. (Moins que son père quand même ; et moins que sa mère aussi, lorsque ça chauffe à table… ou ailleurs ; quand les deux voix s’emmêlent.)

 

Il ne veut pas les déranger, lui le petit garçon, les microscopiques bonshommes. Ni leur faire peur.

Surtout pas leur faire peur…

C’est qu’il est si grand. Bien trop, pour eux. Énorme. Alors il s’éloigne, discrètement, afin de ne pas les effaroucher.

De loin il doit paraître plus petit. Tout en visant le trou plein de lumière, il fait un petit geste de la main et l’accompagne d’un : « Coucou ! » ; on ne sait jamais.

Cette maison qui parle ? Ô… Cette maison ébréchée ? Bah, pas grave ! Chez lui aussi c’est plein de trous.

Mais dans sa maison à lui, ils sont tout noirs, les trous. Tout noirs ! Il a peur de ce qu’il y a dedans : des fantômes ; des « esprits » ; et encore qui ?

Jamais il ne veut s’en approcher de trop près.

Ces trous noirs qui traînent dans sa maison, abritent de méchantes gens. Des habitants… qu’il ne sait pas nommer. Qu’il lui faut fuir. Sans cesse.

Ce sont eux qui le guettent et voudraient l’attraper !

Quel abominable dedans que ce dedans-là.

Brrr…

Tandis que le « trou de canon » de la radio, lui, il est plein de promesses au contraire. Comme un ciel à midi. Très joyeux. C’est la fête. Pas la peste !

Dans cette maison-ci, posée sur le meuble, cette“ minuscule maison dans la grande maison”, d’un beau blanc-ivoire, les gens sont gentils.

Mais plus peureux que lui encore. Alors qu’il ne leur veut aucun mal.

Ils se cachent de lui.

Lui ? Il s’adresse à eux, rassurant, doux ; très, très, très…

Mais ils ne lui répondent pas, à lui ; ils « causent » dans le poste pour tout le monde : pas pour lui en particulier.

Ou peut-être bien que si, parfois. De temps à autre… Il n’est pas très sûr. Tant pis.

Il les imagine, planqués derrière leur mur blanc.

Ils s’affairent, lilliputiens.

 

Ce soir on a éteint : c’est maman qui a tourné le bouton. Maintenant, c’est sombre chez eux.

Tout dort. Tout est silence.

Demain, on rallumera : tout s’égayera à nouveau dans la petite maison.

« Il y a de la lumière chez eux », on dira. On dira aussi : « As-tu remarqué…? C’est quand ils discutent. C’est en même temps. »

Et l’enfant pensera très bas - au tréfonds de soi, là où nul ne peut nous entendre : « Nous, on a peur du trop grand silence et du noir. »

 

La maison d’os. Le crâne. Telle la radio, la très grosse radio de sa petite enfance ; cette radio des temps anciens (le « poste » disait-on alors) ; cette « maison » ébréchée, c’est… la tête de l’homme à « tête d’homme » que « l’enfant d’hier », est aujourd’hui devenu, n’est-ce pas… ?

Des oiseaux-rossignols s’en échappent : une volière qui s’éparpille… avec ses mille voix.

Et ses plumes…

 

Le Témoin :

·      (L’homme avait, à travers la vitre, le regard perdu dans les creux de la « maison d’en face ».

Un souvenir d’enfant lui était remonté des entrailles. Il s’était laissé entraîner, aspirer ; oubliant quelque peu ses préoccupations présentes : les projections géométriques sur la fenêtre du cube ; l’abstraction « concrète » que le diaporama d’images passées avait mis à l’arrière-plan. Qui l’avait happé. Lui.

Non pas une narcolepsie, non. Il était resté seulement suspendu.

Le « petit garçon » l’avait pris par la main ; l’avait amené sur le seuil ; l’avait invité à entrer dans le vestibule ; puis à pénétrer dans le naos : le sanctuaire. Le saint des saints.)

 

L’Auguste :

·      Poil au sein ! Allô « Radio. Londres » ? Ici « Cognacq-Jay » ! Au « Jeu des mille francs » t’avions gagné… une bille : un beau bigarreau, oh, oh !...

…À vous chère madame : qui c’est t-y qui déambule dans le vestibule en faisant des bulles ?

Eh bien mais c’est le Général De Gaulle !

Tant pis pour vous madame. Cette fois-ci vous avez perdu. Hé, on n’peut pas gagner à tous les coups.

…Oui monsieur ? C’est pour quoi… ? 

 

Blanche :

·      Non mais t’es dingue !

 

L’Auguste :

·      Pardon ? C’est pour quoi… ?

 

Blanche :

·      Réveille-vous, coco ! Driling !... Tu avais promis ! Voyez : la mer se démonte ! Pourquoi la casse-vous !? Tu aviez pourtant promis… espèce de renégat ! Promis !

 

L’Auguste :

·      Euh… c’est vrai cheftaine. Euh, on s’excusions, patronne. Mais on n’est pas un renégat pour autant, cheffe. Seulement “maladroit” ; c’est tout. Hé !, comprendrons-tu que cela coûte ? Dites, Blanche ! Qui vous !, avions seule !, la pensée franche - apparemment… ?

 

 

 

 

Philippe Baudet (tout petit extrait du Cube - 2008)