RÊVE (+ SOMBRE X 14-G : Philippe Baudet, 2015 + 2022)

Posté

Récit polyphonique

 

 

RÊVE

(Variante B)

 

1

 

Si l’âme est immobile – comme une automobile à l’arrêt – le jour, quelle mouvance la nuit lorsque le rêve paraît !

– Et tout est à prendre au pied de la lettre ! Tout !

 

Un plumeau : une hirondelle, trace noire dans l’éther qui plisse l’horizon, ondoiement dans le sommeil, lune malgré la lune, rose sous l’orage qui déploie sa pluie, semeur des gouttelettes au-dessus des gouttières des gouttereaux gothiques, au-dessus des H.L.M., sous des arcs-en-ciel rutilants : semblant comme les somptueuses cathédrales et les meules de foin de Monet – au fond du lit…

 

Adieu mortelle engeance, puez dans la démence d’un ciel qui se fait… noir ! sous l’encre de Rembrandt.

Les pisseuses, les pisseurs pisseront à jamais dans l’encre du graveur.

 

Des images, des sons, des formes floues, des chants religieux polyphoniques, la lutte dans le grand lit des morts où des os se touchent – dans la rivière figurée de l’endormissement…

 

Des pisseus(e)s, des pisseurs pisseront à jamais

Dans l’encre du graveur qu’éblouit la tempête

Des putains, je les vois dans mon œil de laquais

Descendre chez le roi d’un rêve dans ma tête

 

D’un rêve noir et blanc qui est d’encre, d’un ciel noir et blanc, d’un rêve de sang d’encre !

 

Je regardais la face noire et blanche : « Jamais vu de damier plus blanc ni plus noir… »

Je mendiai devant l’église, d’une journée sans soleil. Je revis la face grise ! « Quoi ! Jamais vu des yeux si gris ! » Un salaud devant mon poing fit la bouche amère, le reçut comme un gourdin – d’un énorme crac !!!

 

La brève bataille où cognent les anneaux du rêve aux murs noirs du sommeil !

Des fulgurances, des flux et reflux, des déflagrations, les flots de l’océan mou où culbutent les songes noirs-blancs, violemment, dans la léthargie…

 

Adieu mortelle engeance, buvez donc ma rancœur ! Mon esprit qui se tait a mal à son pauvre cœur ; comme un enfant qui fait… la nuit, aux cabinets !

 

La brève bataille où cognent les anneaux du rêve aux murs noirs du sommeil !

Des fulgurances, des flux et reflux, des déflagrations, les flots de l’océan mou où culbutent les songes noirs-blancs, violemment, dans la léthargie… Microcosmes illusoires, du temps de nuit.

 

Cruelle est la chose qu’on pense avec aux yeux des trous et aux mains des crochets. Et puis on se pend… à la poutre du plafond, à la barre des traverses d’un gymnase, par les mains, par le cou… parfois.

 

Le banquier rit sous cape

Les kopecks eux sont d’ac

 

…Quand vous laissez le compte avec, bien entendu, le numéro : un-deux-trois, et quatre-vingt-quinze.

 

Une plume : un rêve, où broute l’agneau mystique ; une cinémathèque…

 

Les biftons se dépensent

En “vergeries” sous panses !

 

« Des Vénus, je les vois ! Elles se rapprochent du roi… »

Les pisseuses, les pisseurs pisseront à jamais dans l’encre noire du graveur, Rembrandt !

 

2

 

Le rêve avance. Il s’enfonce dans l’enfance. Les petits pas. Les poux. Les filets. Le poisson. Et qu’on riait de vous. La guerre d’Algérie. La nuit aux portes de Paris.

 

L’âme fait sa révérence. Elle suit dans le silence la pensée qui s’arrache aux synapses et aux fils : « J’ai plus qu’un trou d’avance ! (Je fais des trous dans la tête de l’ivrogne et du fou !) »

 

En entendant siffler, la fille de gare comprit que des yeux poussaient entre les rails, que le ciel reflétait le sourire impatient de la mort… qui se cache encore, que l’ennui lisait ses joies enfantines, plissées sous des cerceaux d’émail.

 

« Puis je me serais sans doute éteint comme la flamme d’une bougie allumée par un soir d’orage. Dans le noir ma fumée, odorante et bleue, serait remonté au cœur de ma fiancée… »

 

3

 

Blanche, comme une étoffe de lin et rêche comme telle, la nuit, quelquefois…

 

Des draps qui nouent et tordent sur la jambe et le torse le bon sommeil du juste, en une épreuve de force, un bâillement, un cri, un beuglement de truie qu’on assassine quelque part : dans la tombe jusqu’au cou ! C’est la nuit… rien que la nuit. La peur se meurt en soi.

 

4

 

Au loin de la ligne : un flottement superbe. Un trait tangue en noir sur fond bleu. Un élément : l’eau. Plus un peu de feu. De la vapeur rend floue une vision de femme dans un désert plan, ou bosselé de dunes parfois. C’est un pays arabe. Des étoffes sur les corps se rapprochent des yeux. Il hurle d’une musique, les cordes électriques pour souligner l’action. La chaleur n’accable que les insectes à terre. À sable chaud. Brûlant. Les vipères s’entortillent.

 

En entendant siffler, des serpents par milliers s’embrassèrent, enlacés dans la lumière…

 

Le sable gifle les jours et efface à mesure que le vent s’en joue ses traces sur la trame du désert, comme une mer étale, comme une plage.

 

5

 

Ça crisse un peu sous le lit. Et le cerveau dénoue le canevas nocturne. Le soleil se jette sur les yeux.

 

 

 

 

Philippe Baudet, août 1989