CHTOUC : Philippe Baudet, 2016 + 2019 (+ Final du "CUBE)

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Extrait du "cube" (final)


Partie III : DANS LA RUE…  

 

Le Témoin :

·      (… Puis on raccompagna l’homme à la porte d’entrée. Le ciel était poudreux. Il sortit. Traversa la rue sans même jeter un regard à la maison qui avait occupé son attention une grande partie de l’après-midi. Non. Il leva les yeux, tout en marchant, longtemps, sur le trottoir.

Il se plongea dans la contemplation du ciel : ses blocs de bleu, ses nuages en forme de blocs de marbre blanc nappé de sauce solaire.

Il s’y plongea comme on plonge dans la piscine. Enfin… comme certains plongent dans la piscine : LA TÊTE LA PREMIÈRE.

 

*

…Une voiture ratait son créneau. Dut s’y reprendre à trois fois.

Un chien “faisait” dans le caniveau ; un autre sur le trottoir.

Derrière une haie, une mésange bleue se posa sur le toit d’une niche. Le locataire de la niche, un gros bouledogue furieux, tira sur sa chaîne, tendue à en faire péter les maillons ; tira, tira…, babines retroussées, la bave à la gueule. (Gare aux plumes !, gare aux mollets… Si la chaîne craque.)

Par l’entrebâillement du portail, l’homme, attiré vaguement par les grognements, les aboiements… et par le petit trait bleu qui s’envole, assistait au spectacle. Mais il regardait “sans regarder vraiment” ; distrait.

Il allait à petits pas lents.

Puis son pas s’allongea.

Peu à peu.

Un vent de poubelle souffla d’une allée… bouche ouverte.

Il força l’allure.

Maintenant pressé, il se mit à trottiner ; puis à courir sur quelques centaines de mètres.

…Juste à temps pour attraper son bus !

 

*

…Dans le bus, il n’y avait pas de place assise libre : il resta donc debout. (Comme aurait dit un certain Monsieur de La Palice.)

Il resta debout à l’intérieur du gros tube barlong qui filait sa quenouille. Et quelques embardées !

(Mais quand la voie est dégagée ; longue, la route : c’est un vrai pur-sang !)

À l’arrière, des enfants s’amusaient : « C’est un trois-mâts sur les flots… Regarde. Tu vois, dans son sillage, il y a plein de requins…

- Mais non, ce sont des dauphins !

- D’accord. Si tu veux. »

Ils désignaient des motocyclistes ; et les motocyclistes leur souriaient.

Ils s’en détournèrent pour faire face au grand large.

« Il a le vent en poupe. Hissez la grand-voile matelot !

- À vos ordres capitaine. Ho, hé, ho, hisse. Toutes voiles dehors, capitaine !

- C’est bien moussaillon.

- Tenez bon la barre, capitaine : il y a du tangage.

- C’est moi qui commande à bord, matelot ! À bâbord toute ! Pas à tribord !, triple crétin !... J’ai dit : à bâbord !... Sinon on va chavirer, imbécile ! T’entends pas le vent rugir !?... »

Le vent… ? C’est son gros moteur ronflant, au bus.

Et à l’approche des feux, c’est… « En arrière toute ! » Il freine des quatre fers, naseaux saillants. Les passants en prennent pour leur grade : ça fait flic, flac dans les flaques ; et les énormes roues les éclaboussent d’un vieux crachin tout sauf marin.

…Ce qui fait rire les enfants.

 

*

…Un feu rouge.

Quelques instants d’attente.

Immobile.

Dehors (hors du bus) cela s’agitait.

On allait ; on venait.

Les gens se croisaient ; s’entrechoquaient ; s’interpelaient ; discutaient ; murmuraient ; riaient ; pouffaient ; poussaient des : « Oh ! » ; poussaient des : « Ah ? » ; s’engueulaient ; se serraient la main. Mais, le plus souvent, “s’indifféraient”.

…Fréquemment, l’on poussait la porte d’un bureau de tabac ; d’un café ; d’un boulanger. Parfois, d’un fleuriste…

 

*

…Feu vert. Le bus s’ébroue. Ahane et souffle et cahote. Bon gros ours tout ensommeillé, il s’élance lourdement. Et puis pof. À cinq cents mètres de là, à nouveau il s’apprête à stopper.

Il se range sur le côté.

C’est SA ligne, SON arrêt… ; c’est tout. Ses portes s’ouvrent devant l’abribus. Des passagers montent ; d’autres descendent. (« Dehors/dedans. »)

 

*

…Une place assise s’est libérée, enfin : enfin, l’homme va pouvoir s’asseoir, lui si las ; se reposer.

Un regard à la vitre. LA VITRE. La fenêtre du bus : ce “cache” ; fixe.

Mais LA VUE, quant à elle, est mouvante !

Voilà que déjà le décor – l’extérieur – se met à doucement défiler. D’abord, en prenant son temps, telle une bobine fatiguée… Et puis, hue cocotte !, il se met à trotter. Puis à cavaler.

 

*

…Il y a tant d’images ; tant de couleur(s) ; tant de mouvement(s) : DU MOUVEMENT.

Il y aurait tant à collecter ici : à ranger dans la musette.

Mais il est bien trop las ; à bout de souffle même : allez savoir pourquoi ?

Son visage appuyé contre la joue froide de la vitre, il somnole. Et puis s’endort.

 

*

Et… C’est dans les bras de Morphée que l’homme est emporté, par un cheval de tôle… Jusqu’en ses écuries !, au cheval.

Une vague impression, dans le profond sommeil : « Est-ce un cheval de Troie ? », (se) demandent des voix, rompant d’un croc de clown, quelque loi d’airain sacrée.

« Silenzio !!! », leur fut-il répondu.)

 

 

 

Partie IV : L’ENFANT

(Épilogue)

 

Le Témoin :

·      (L’homme est descendu du bus. Derechef piéton : il est à nouveau « “dans” la rue ».

…Voilà bien là un paradoxe : on sort… ; on est… « dehors » ; donc… à ciel ouvert ! Et l’on dit… « DANS » la rue.

Un paradoxe ? Au premier abord seulement. Car les rangées d’immeubles, qui longent la chaussée et la bordent et la flanquent, sont les grands côtés d’une « boîte à chaussures » qui semble ne pas finir : on n’en voit pas les bouts.

Un contenant. Où, le piéton – (re)devenu, qui fut l’homme-assis (trop longtemps : dans le cube ; dans le cheval de Troie), n’est ici, qu’une fourmi au fond d’une ornière.

Mais baste. “Piéton” donc.

Il marche, il marche ; son pas est leste…

Il en dépasse d’autres, des piétons ; il va, il va.

Quand soudain… il se fige.

Bourrasque !

À hue et à dia, la bourrique…

Hooooooooooooooo… Les serres d’un aigle emportent, et déposent : « Où est-on… ? Et qu’est-on… ? Que fait-on… ? Où va-t-on… ? »

Tant de questions. Où est-on ?...

…Devant un mur de pierre où les moellons sont parfaitement jointoyés. Tellement bien qu’on ne remarque pas la maille dans le tricot : une surface lisse. Lisse ? Vraiment ? Oui, en apparence ; quand on la voit d’un seul tenant ; quand on la balaie d’un coup d’œil rapide. Mais si l’on cherche, attentif, alors on trouve. La faille : LE TROU.

…Là !

En plein front.

 

*

Un blanc. Peut-être… un Voyage… ? (Où ça ?) Une fugue ? Une échappée ? Une balade ? Une randonnée ?...

Ou bien un plongeon dans la marmite !

 

*

Dans la boîte ronde, là-haut, une fuie – c’est un petit colombier - : elle se vide de sa colombe.

On l’a vu dans le ciel. Des touristes ont dit : « Look at this bird ! » à leur enfant, index tendu vers l’oiseau qui passait ; qui passa ; qui avait passé… pffuit blanc.

Trop tard !

 

L’enfant ne vit rien.)

 

            (Philippe Baudet : Final du Cube décembre 2008)

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Lien vers : "Poussière" (+ "Chtouc")