« Michel ! »
J’étais l’enfant au cerveau désirable.
Cerveau qui déroulait au-devant de sa route
Des tonnes de volutes de magie-vraiment... ;
Abritant des pensées où La Pensée se tord
De rire… ou bien de peur… dans ce curieux abri ;
Ce doux nid frais éclos, comme un œuf du matin ;
Un bel œuf qui palpite… ; où pépient des esprits,
Affamés d’aventure, avides de la voile,
Des sorciers de gréements : « À la poupe ! En avant ! »…
Mais qui crèvent la coque quand le cœur bat, dément,
Tel un tambour de brousse cognant des sortilèges :
J’étais l’enfant pétri de dieux… et de fantômes !
…Ma face lumineuse, éclairée du dedans,
Dardait sa lumière magique aux alentours,
Sur mes amis les chiens, sur les herbes sauvages,
Les objets, les maisons, les arbres qui défilent ;
Sur mon papa pêcheur (dans ma tête-ciné,
Chevauchant l’esturgeon !…) ; sur le Terrible Vent.
« Hou… Hou… Qui donc est là ? Qui pointe ainsi son souffle ?
Dans ce vent, qui murmure ? Et puis dans ce trou noir
Qui est tapis, furieux ? De quel monde êtes-vous ?...
Hou… Hou… » J’étais l’enfant aux frayeurs insondables.
Mais lorsque je marchais, traversant les forêts,
J’avais le corps entier et j’avais l’âme à vif.
On me prenait pour L’HOMME – et l’oiseau et les arbres !
On ne me disait rien et je comprenais tout :
Le sourire des feuilles et l’énigme des ailes…
La fosse du berger s’ouvrait sous mes pas frêles
Quand je déambulais dans la sylvestre nuit
En nyctalope vagabond jusqu’aux matins
Qui nappent de rosée la blancheur des moutons,
Ces moutons arithmétiques au-dessous des draps…
Puis je m’offrais au jour ! Et, sans mélancolie,
Je prenais les chemins et je fendais les blés.
Au printemps : je battais la campagne ! Perçant
De mon bâton pointu l’argile nue des champs,
Où des charrues se vautrent : j’y traçais mon sillon.
« Y pousseront les fleurs de mes fleurs dans les vôtres,
Messieurs ! »
L’hiver,
J’entendais le murmure des hauteurs lointaines
Qui m’appelaient… en mon grenier secret. Mes sens
Escaladaient les rocs dont mes doigts détouraient
Les contours et les cimes au vertige ignoré,
Sur la vitre embuée de ma chambre. Mes pas,
Se mettaient dans les pas des Grands-Vieillards-Chenus :
Ces augustes montagnes qui lorgnaient vers MA plaine.
L’automne,
L’automne-chevalier au “ci-devant”-galop,
Déroulait son tapis sous sa monture en fer :
Un tapis bruissant d’air ; luisant d’argent, de bruns…
Quand l’automne était là, il se mettait en peine.
Il m’ouvrait son tapis, et j’y pouvais cueillir
De piquantes offrandes : bogues endiablées
(“Hérissons déboulant et oursins éclatés”) ;
Ou bien cette araignée qui me mordit l’épaule !
Tandis que j’enjambais l’eau glacée du ruisseau,
Qui longeait la maison où le hibou se loge…
L’été, je dévorais la pluie à pleines dents,
Léchant des yeux le Grand Vitrail en forme d’arc.
Et j’en ployais les traits, ruisselant de couleurs.
Mon corps s’enluminait, décoré, dévoilant
Sa Lumière aux Morts-Petits de jadis : des anges.
Oui, des anges. Car bien gavés d’hosties… Mais, moi,
C’est dans la Nature que je le mangeais, lui : Dieu !
Je gobais le Mystère, essorant dans les cieux
Les couleurs du Vitrail, ou bien s’époumonant
Pour faire danser au sol la mer des blés en sang…
Des mains ornaient de nappes l’azur éclatant :
La table était ouverte où mon cœur se baignait.
Ces mains tendaient des draps si le bleu s’endormait :
Je m’y couchais dedans quand mon Livre se fermait.
Petit prêtre des airs…
Je m’envolais !
Jamais je n’eusse vomi la nourriture céleste,
Ni la crotte des Vents ne l’eusse déféquée.
Car j’aimais la Terre et vénérais le Ciel :
J’ÉTAIS L’ENFANT
(Philippe Baudet)