UNE ONDÎLE À MOI DANS LA NUIT
Si splendide est ta forge. Une chatte rose vient s’y frotter. Elle se hérisse rousse comme gerbe en été : gerbe de blé…
Mais on ne peut pas dire ces mots-là. Alors je tourne la page.
Et ce que j’ouvre ensuite est indicible. Ineffable comme les secrets sans nom. Ou alors : « Georges ! » Et des conneries de ce genre (qui) s’accumulent au fil des pages. De pas en pas… Ni début ni fin. (Heureusement !) Sans queue ni tête. Alors je me blottis. Entre les draps de la bibliothèque qui m’ouvre ses bras… et quoi d’autre ?
Et je ferme la porte. De ma raison.
1
Des bruits. Des voix… Ça se rapproche. C’est moi… Moi ?
- Oui toi !
Mais non, non, rien à faire ! Voulez-vous bien me laisser tranquille, vous et vos sales pognes !
- C’est toi qu’on veut, petit. Tiens-toi prêt.
À quoi ?
- Mais, vlan, viens là rouge-gorge !
(« Tes beaux seins ra-di-eux… comme des yeux ! »)
Alors je cours. Mais rien à faire vraiment ! J’n’ai pas de pattes ! On me blesse la couverture ou me caresse.
Faut bien s’ouvrir de toute façon. Alors vas-y, oui, oui, lis-moi, rien à foutre, prends ton pied…
Quoi… Tu t’ennuies en moi ? Ce que tu lis ne te plaît pas ? J’ai pourtant mis mes plus beaux souliers, enfilé mes plus beaux atours pour vous plaire, à tous, allez, qu’on en finisse…
Hé !, dites-moi, qu’est-ce que ça raconte là, sous mon bas ? Je n’y vois goutte. Et puis, et puis, quand on me tourne, moi, la tête me tourne, ça va trop vite, pas l’temps, pas l’temps. Qu’est-ce que je cause, de quoi ? Du temps qui passe ? Et vous efface…
Allez, ho !, prends “lui”, prends “l’autre”, prends “lui”, prends “l’autre”… pour changer. Mais rien à faire, rien à faire, rien à faire : c’est moi qu’on veut !
Et l’on me prend. L’on me sort. L’on me dépose, là, sur la table.
Holà !... On m’époussette. Hé !, con !, tais-toi !, tu pousses un peu !, je ne suis pas si sale… que ça. T’exagères.
On fait de moi ce que l’on veut.
Bah… Moi, je m’en fous. Et boum, eh oui !, boum. Boum et plouf (aussi…).
Prends ton temps, surtout ne te gêne pas. Il paraît que… je suis là pour toi… ?
Et pour ça ?
…Si je veux ! Demande ! Mais demande !... au lieu de te servir comme ça, comme si t’étais le roi, comme si on n’attendait que toi. Hé ! Tu m’écoutes ?!
Je veux m’évanouir… comme « Une rose au printemps ! »
Dévalent de mes pages, des mots et des mots ! De sacrés paquets ! Un tas !... de pétales froissés, de phrases. Il n’y a qu’à trier !
Des choses écrites pour moi seul !, que tu dévoiles…
Et je me fais piquer, mot à mot ; phrase à phrase.
Hé ! Suis-je en prose ou en vers ? Crotte ! Mais crotte ! Celui-là me referme sans rien donner !
Il ne veut pas me vendre la mèche ! Sale égoïste !
Ô mon petit pot de vert clair ! Quand reviendras-tu ?, joli mois de mai ? Au printemps… ?
Vu le poids que je pèse, serais-je un dictionnaire ? Un livre de Cuisine ? Une anthologie… ?
Oh mon petit pot de crème qui s’étend sous ma couverture ! Miam !
Je m’en remets à vous, amis, qui me glissez un trèfle… “en-plein-cœur” !
Si on se mettait d’accord ?, hum ? Si on se disait chacun de son côté… qu’on m’ouvre… disons… à la page 70 !, hein ?
« Soixante-treize !!! »
Soixante-treize ?! (Comme… 1973 ?!) Bon… ben… “d’acc” !
…Qu’en dis-tu Odile ? (Une ondîle à moi dans la nuit.)
Elle dit d’acc.
Et l’on se glisse tous les deux sous les draps, au cœur de moi : livre. Au fond du rayon.
Et l’on se dit des mots d’amour. Du bout de nos lèvres réunies.
Et de nos doigts unis on se croise les pouces. On n’fait rien. Ou la grasse… matinée. On a raison, on s’enlace avec nos ventres. Et tu m’attrapes et je t’attrape. Fais gaffe !
Si je te chope, je, je, je, je…
2
« Qu’écriras-tu aujourd’hui ?
- Aujourd’hui rien, moi je vais lire.
- Que vas-tu lire ?
- Mais toi, mon cœur.
Entends-tu le papier qui appelle ?
Qui épelle… ton nom, mon nom. »
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Philippe Baudet, 2009
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Lien vers : "Dans la nuit" (Version B percussions)