BLUES (+ THEME REVENU A LA SURFACE DE LA MEMOIRE : Philippe Baudet, 1993-2021)

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BLUES

(Variante)

 

I

 

La cadence. Sa cadence infernale… trouble même… trouble même le rythme. C’est un oiseau brisé sur sa branche. Un volatile. Un des tout petits, qui s’explose. C’est une rose. Une rose blessée. Pétales déchirés. Une rose étalée, écrasée. C’est un ange. Une fleur d’ange… froissée. Une bulle qui pense.

 


 

II

 

Ton pendule en suspens questionne ton horloge

Qui goutte

À goutte sur ton aile en ton plumard ô homme

Qui saigne

On t’arrache de ton lit

Camarade soûlard

Que tu boives buvard

L’aigre vin jusqu’à la lie !

Dans le fond du tonneau

On t’y couchera nu

Tu seras le menu

Du diable tord-boyaux

Tu serviras d’agapes

Au suaire et ses crocs

Ici tu es de trop

Le drap de vin te drape

Le dieu du vin t’attrape

Te plonge dans sa grappe

Toi vil !

L’alcool remplacera ton sang hé vieille éponge !

Tu es comme un pendu dégoulinant de bave

Ton corps sort du tonneau pour t’accrocher à l’arbre

Tout le vin que tu bus toute ta vie durant

S’enfuit de tes os comme les rats d’un bateau

Qui sombre

Troué

Il coule

De la trogne jusqu’aux pieds

Il est tout de sueur

Blanches gouttes de peur

Ou noires ou bleues d’acier

Quand sont pieds et poings liés

Rouge au bec et au dentier

Qui claque

Te voici comme un drap balancé par le vent

Tu as Villon au cœur tu le connais par corps

Tu as tout ton temps tu le lis jusqu’à plus soif

Avant tu ne savais rien de François Villon

Tu ne savais rien des corbacs suçant les yeux

Dans l’orbe

Vois-tu ?

Leurs dents

Terminent la besogne

Sur l’immonde drapeau

Qui glisse sur ta peau

Où pend ton jus d’ivrogne

Et va

Où l’averse se double de gras champignons

Dans un trop-plein d’étang tel un faux col de bière

Qui boit cul sec ta mémoire ô pierre spongieuse

Quand la Grande Lieuse aspire à recevoir

La mousse

Sur les pendus fanés comme une fleur fanée

Ta mousse

Lorsque ta corde trop tendue pâlit et craque

Ô Homme

Tu rentres dans le livre pour n’en plus sortir

 

 

 

 

 

 

Philippe Baudet, 1995