BLUES
(Variante)
I
La cadence. Sa cadence infernale… trouble même… trouble même le rythme. C’est un oiseau brisé sur sa branche. Un volatile. Un des tout petits, qui s’explose. C’est une rose. Une rose blessée. Pétales déchirés. Une rose étalée, écrasée. C’est un ange. Une fleur d’ange… froissée. Une bulle qui pense.
II
Ton pendule en suspens questionne ton horloge
Qui goutte
À goutte sur ton aile en ton plumard ô homme
Qui saigne
On t’arrache de ton lit
Camarade soûlard
Que tu boives buvard
L’aigre vin jusqu’à la lie !
Dans le fond du tonneau
On t’y couchera nu
Tu seras le menu
Du diable tord-boyaux
Tu serviras d’agapes
Au suaire et ses crocs
Ici tu es de trop
Le drap de vin te drape
Le dieu du vin t’attrape
Te plonge dans sa grappe
Toi vil !
L’alcool remplacera ton sang hé vieille éponge !
Tu es comme un pendu dégoulinant de bave
Ton corps sort du tonneau pour t’accrocher à l’arbre
Tout le vin que tu bus toute ta vie durant
S’enfuit de tes os comme les rats d’un bateau
Qui sombre
Troué
Il coule
De la trogne jusqu’aux pieds
Il est tout de sueur
Blanches gouttes de peur
Ou noires ou bleues d’acier
Quand sont pieds et poings liés
Rouge au bec et au dentier
Qui claque
Te voici comme un drap balancé par le vent
Tu as Villon au cœur tu le connais par corps
Tu as tout ton temps tu le lis jusqu’à plus soif
Avant tu ne savais rien de François Villon
Tu ne savais rien des corbacs suçant les yeux
Dans l’orbe
Vois-tu ?
Leurs dents
Terminent la besogne
Sur l’immonde drapeau
Qui glisse sur ta peau
Où pend ton jus d’ivrogne
Et va
Où l’averse se double de gras champignons
Dans un trop-plein d’étang tel un faux col de bière
Qui boit cul sec ta mémoire ô pierre spongieuse
Quand la Grande Lieuse aspire à recevoir
La mousse
Sur les pendus fanés comme une fleur fanée
Ta mousse
Lorsque ta corde trop tendue pâlit et craque
Ô Homme
Tu rentres dans le livre pour n’en plus sortir
Philippe Baudet, 1995